Transitions foncières vers une protection des régimes fonciers coutumiers des peuples autochtones et communautés locales

Vision

Les territoires de vie des peuples autochtones et des communautés locales, y compris leurs relations culturelles, spirituelles et coutumières particulières avec leurs terres et leurs eaux et leurs contributions intrinsèques et vitales au bien-être humain, à la conservation de la diversité biologique, à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation au changement climatique, sont protégés. Les terres, territoires et ressources collectifs des peuples autochtones et des communautés locales sont juridiquement reconnus et protégés conformément au droit international ; les classifications de l’utilisation des sols et les enregistrements des titres fonciers pour défendre le régime foncier coutumier sont réformés ; et la couverture mondiale de zones conservées, utilisées durablement et restaurées augmente progressivement et de manière significative.

Raisonnement

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Encadré 54 :

la Déclaration de Kimberley : peuples autochtones et développement durable

« En tant que peuples, nous réaffirmons nos droits à l’autodétermination et à posséder, contrôler et gérer nos terres et territoires ancestraux, nos eaux et nos autres ressources. Nos terres et nos territoires sont au cœur de notre existence – nous sommes la terre et la terre est nous ; nous entretenons une relation spirituelle et matérielle particulière avec nos terres et territoires, et ils sont inextricablement liés à notre survie et à la conservation et au développement ultérieur de nos systèmes de savoirs et cultures, à la préservation et à l’utilisation durable de la diversité biologique et à la gestion des écosystèmes. »1

Community mapping in progress in Indonesia. Credit: Agnus McInnes.
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Cartographie communautaire en cours de réalisation en Indonésie. Photo : Agnus McInnes.

L’importance existentielle des terres et territoires collectifs pour la survie des peuples autochtones et la diversité biologique a été réaffirmée à maintes reprises et clairement saisie dans la Déclaration de Kimberley sur le développement durable, adoptée par des peuples autochtones de toutes les régions du monde en 2002 (voir l’encadré 54).

Aujourd’hui, la pertinence de ce message pour l’ensemble de l’humanité est mieux comprise, puisque nous nous efforçons collectivement de réparer les dégâts causés à toute la diversité de la vie, des gènes aux espèces et aux écosystèmes, et aux peuples et cultures qui y sont associés. Il est désormais avéré que la plupart de la diversité biologique du monde se trouve sur les terres et les territoires des peuples autochtones et des communautés locales.2 Toutefois, seuls environ 10 % de ces terres sont juridiquement reconnus avec un régime foncier coutumier garanti pour les peuples autochtones et les communautés locales qui y vivent et qui ont nourri ces territoires de vie particuliers. Ainsi 40 % des terres du monde restent vulnérables à l’accaparement et à une utilisation non durable par des acteurs plus puissants, ce qui engendre des conflits, des violations des droits humains et des menaces accrues de reculs, de violences, et d’accusations injustes à l’égard de peuples autochtones et de communautés locales qui défendent leurs terres.

La convergence des actions en matière de justice sociale, de conservation de la diversité biologique et de changement climatique au cours des prochaines décennies dépendra des garanties octroyées aux droits collectifs des peuples autochtones et des communautés sur leurs terres, territoires et ressources, et sur leurs relations réciproques de soin, de santé et de bien-être avec le monde naturel.

La nature décline généralement moins rapidement sur les terres des peuples autochtones que sur les autres terres. Dans de nombreuses régions du monde, les terres des peuples autochtones deviennent peu à peu des îlots de diversité biologique et culturelle entourés par des zones dans lesquelles l’environnement a continué de se détériorer ; et dans de nombreux cas, la diversité biologique augmente et s’améliore grâce aux valeurs et pratiques autochtones.3. Les peuples autochtones sont déjà en train d’ « inverser la courbe » du recul de la diversité biologique sur les terres qu’ils possèdent, gèrent ou contrôlent.

L’absence de reconnaissance et de garanties pour les profondes valeurs de conservation des terres, territoires, eaux et ressources des peuples autochtones et des communautés locales est l’une des plus grandes occasions manquées de la décennie passée. Une transition concernant cet aspect de la gouvernance foncière pourrait comporter d’énormes avantages pour la diversité biologique.

Les avantages de la transition

Les peuples autochtones et les communautés locales apportent déjà de multiples avantages matériels, sociaux, culturels et spirituels à leurs communautés et à l’ensemble de la société. Par exemple :

  • Par exemple : les peuples autochtones et les communautés locales possèdent ou gèrent au moins 50 % des terres du monde, qui abritent une bonne partie de la diversité biologique du monde, y compris environ 40 % d’aires protégées. Par ailleurs, 40 % de toutes les surfaces terrestres restantes avec une faible intervention humaine se situent partiellement sur des terres des peuples autochtones
  • ; ces terres abritent également 36 % ou plus des paysages forestiers intacts restants, et ont des taux de déforestation plus faibles et une richesse des espèces plus importante que d’autres régions
  • ; au moins 22 % de l’ensemble du carbone dans les forêts tropicales et sous-tropicales est stocké sur les terres des peuples autochtones et des communautés locales.

Des garanties concernant les systèmes fonciers coutumiers des peuples autochtones et des communautés locales et leurs relations distinctes et particulières avec leurs terres permettront :

  • d’accroître de manière importante la zone actuellement affectée à la conservation, à l’utilisation durable et à la restauration, en démultipliant ainsi les avantages existants ;
  • de promouvoir une conservation juste et inclusive ;
  • de contribuer à la réalisation des ODD et à la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur les changements climatiques ;
  • aux peuples autochtones et aux communautés locales de défendre leurs territoires contre des activités externes non durables, et de prévenir des conflits et des attaques violentes à l’égard de défenseurs de l’environnement et des droits humains.

Garantir des régimes fonciers coutumiers constitue l’une des transitions les plus concrètes et les plus prometteuses sur laquelle il est possible d’agir avec un effet immédiat et qui peut générer de multiples avantages.

Progrès vers la transition et exemples de référence

Le droit international relatif aux droits des peuples autochtones (y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention n° 169 de l’Organisation internationale du travail), les Résultats de la Conférence mondiale sur les peuples autochtones, et la jurisprudence internationale et nationale sur les peuples autochtones confirment tous les droits aux terres, territoires et ressources sur la base du régime foncier coutumier. Néanmoins, ces droits restent mal respectés et mis en œuvre dans la plupart du monde.

Tant les les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale par la population4 que les les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté5 ont été adoptées avec un large soutien. Si elles sont pleinement mises en œuvre, elles peuvent faciliter les progrès à tous les niveaux pour garantir le régime foncier coutumier des peuples autochtones et des communautés locales, ainsi que l’égalité entre les sexes.

La Déclaration de l’Union africaine sur les problèmes et enjeux fonciers en Afrique résout de garantir que les droits fonciers accordent un accès équitable aux terres et aux ressources connexes entre tous les utilisateurs de la terre, y compris les jeunes et les autres groupes privés de terre et vulnérables comme les personnes déplacées, et de consolider les garanties du régime foncier pour les femmes, qui exige une attention particulière.6

Alors qu’en 1979 seul un ou deux parlements reconnaissaient les communautés comme des propriétaires fonciers à part entière, en 2019 les lois foncières de 73 des 100 pays récemment analysés prévoient une propriété communautaire en plus de la propriété publique et privée.7 Des progrès satisfaisants ont également été enregistrés concernant la reconnaissance du régime foncier forestier communautaire. Selon Rights and Resources Initiative, « Depuis 2002, la superficie totale attribuée aux peuples autochtones et aux communautés locales et détenue par ces peuples et communautés dans 58 pays a augmenté d’au moins 40 %, soit 152 mha. Alors qu’en 2002, seuls 40 pays disposaient de cadres juridiques instituant les communautés comme des propriétaires des forêts ou des titulaires de droits désignés, au moins 54 pays avaient instauré de tels instruments juridiques d’ici 2017, avec de nouvelles possibilités pour une propriété communautaire des forêts en Indonésie, au Kenya, au Mali et en Zambie depuis 2013. »8

La Campagne Land Rights Now9 et Land Tenure Facility10 sont des partenariats internationaux avec les peuples autochtones et les communautés locales, axés sur le développement de la reconnaissance des droits fonciers collectifs.

Aux niveaux national et local, certains exemples récents laissent également espérer pour l’avenir :

  • au Suriname, le 1er octobre 2019 fut un moment historique, avec la présentation de deux projets de loi au Ministre du développement régional : une proposition de loi sur les droits collectifs pour les peuples autochtones et tribaux du Suriname, y compris les droits fonciers, et une proposition d’amendement de la constitution. Ces propositions de loi étaient le résultat d’années de travail, notamment le fruit d’une collaboration et de négociations entre le Ministère du développement régional, chargé de mettre en œuvre la « feuille de route pour la réalisation de la reconnaissance juridique des droits fonciers des peuples autochtones et tribaux du Suriname », et l’Association des dirigeants villageois autochtones, afin de mettre en œuvre la décision de la Cour américaine des droits de l’homme de 2016 en faveur des peuples Kaliña et Lokono et, plus généralement, des peuples autochtones et tribaux du pays;11
  • en Bolivie, le peuple Tacana est parvenu à protéger ses droits et sa diversité biologique au moyen de l’autodétermination et de partenariats avec des organismes de conservation dans les territoires qui recouvrent partiellement le Parc national Madidi. Consolider la gouvernance a été essentiel pour exercer leurs droits, puisque le droit seul ne suffit pas, et que les lois peuvent changer. Pendant des décennies, confronté à des lois et règlements changeants, ainsi qu’à différents défis de taille posés par des autoroutes, l’extraction des ressources et l’ouverture des parcs aux compagnies pétrolières et gazières, le peuple Tacana, notamment au moyen d’alliances avec des colons et des scientifiques en charge de la conservation, s’est concentré sur l’élaboration d’un système de gouvernance solide de grande ampleur, en donnant aux personnes les moyens de prendre leurs propres décisions, et a ainsi renforcé sa lutte pour protéger la diversité biologique de son paysage ;12

en 2019, au Panama, le Ministère de l’environnement a signé une résolution juridique qui reconnaît les droits des peuples Guna et Embera-Waunan dans les aires protégées. Une autre loi, qui reconnaît les droits du peuple Naso Tjër Di, est actuellement devant la Cour suprême du Panama. Elle reconnaît et respecte les droits du peuple Naso Tjër Di, qui a longtemps pris soin des forêts du pays et d’un site du Patrimoine mondial de l’UNESCO menacé par des projets de barrages destructeurs. Cela représente une avancée notable pour les droits humains et l’environnement au Panama.

People gathering on the shore of Gichigami, Lake Superior, to protest the proposed Enbridge Line 3 tar sands pipeline. Credit: Fibonacci Blue.
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Personnes rassemblées sur les rives de Gichigami – Lac Supérieur – afin de protester contre le projet de pipeline de sable bitumineux Enbridge Line 3. Photo : Fibonacci Blue.

Les éléments clés de la transition

  • Défendre les normes en matière de droits humains. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est suffisamment précise pour donner lieu à des droits identifiables et réalisables et a été acceptée comme seuil traduisant la norme minimum du droit international à appliquer pour garantir les droits fonciers des peuples autochtones, y compris le consentement libre, préalable et éclairé aux programmes et projets qui les affectent. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales a été adoptée plus récemment.
  • Adopter et développer des cadres, des mécanismes et des mesures concrètes efficaces sur le plan constitutionnel, juridique, politique et institutionnel, afin de reconnaître et appliquer juridiquement et adéquatement les droits des peuples autochtones et des communautés locales aux territoires, aux terres et aux ressources et de respecter leurs systèmes fonciers coutumiers, y compris les droits des femmes.
  • Réformer la gouvernance foncière, et consolider les règlements et la surveillance des entreprises commerciales afin de vérifier le respect des droits humains et des normes environnementales.
  • Consolider les institutions de gouvernance des peuples autochtones et des communautés locales relatives aux terres, territoires et ressources, y compris avec l’utilisation de la cartographie participative communautaire.
  • Transformer les politiques et pratiques en matière de conservation pour passer de modèles basés sur l’exclusion à des approches collaboratives fondées sur les droits qui soutiennent et promeuvent la conservation et l’utilisation coutumière durable pilotées par les communautés, et qui célèbrent les relations réciproques entre la nature et la culture.
  • Investir dans des partenariats et promouvoir des partenariats visant à garantir les droits fonciers collectifs, notamment l’accès à la justice et une amélioration des mesures de reddition des comptes, de remise en état et de restitution pour traiter les violations des droits fonciers des peuples autochtones et des communautés locales et la protection des défenseurs des droits humains environnementaux.

 

References

  1. First Peoples Worldwide (2002) The Kimberley Declaration. Sommet international des peuples autochtones sur le développement durable, Territoire Khoi-San, Kimberley, Afrique du Sud, 20-23 août 2002. Disponible sur :https://www.globalpolicy.org/component/content/article/162/27586.html
  2. IPBES (2019) Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, et H. T. Ngo (éd.). Bonn, Allemagne : IPBES.
  3. IPBES (2019) Summary for policymakers of the global assessment on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio E.S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, et C. N. Zayas (éd.). Bonn, Allemagne : IPBES. Disponible sur : https://doi.org/10.5281/zenodo.3553579
  4. Comité de la sécurité alimentaire mondiale et Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (2012) Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale. Rome : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Disponible sur : http://www.fao.org/3/i2801f/i2801f.pdf
  5. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (2015) Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté. Rome : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Disponible sur : http://www.fao.org/3/i4356fr/I4356FR.pdf
  6. Union africaine (2017) AU Declaration on Land Issues and Challenges: A Review Of Progress Made. Rapport à la Conférence du Comité technique spécialisé sur l’agriculture, le développement rural, l’eau et l’environnement. Union africaine. Disponible sur : https://au.int/sites/default/files/documents/33005-doc-draft_report_to_au_stc_progress_in_implementing_the_au_declaration_on_land_issues_and_challenges_in_africa_2017_revised_with_guideline.pdf
  7. Wily, L.A. (2019) Are community land rights becoming mainstream? Land Rights Now. Disponible sur : https://www.landrightsnow.org/community-land-rights-2019/
  8. Rights and Resources Initiative (2018). À la croisée des chemins : tendances dominantes dans la reconnaissance des droits fonciers communautaires entre 2002 et 2017. Washington, D.C. : Rights and Resources Initiative. Disponible sur : https://rightsandresources.org/fr/publication/at-a-crossroads-trends-in-recognition-of-community-based-forest-tenure-from-2002-2017/#.X1eKzHkzaUk
  9. Land Rights Now. Disponible sur : https://www.landrightsnow.org/
  10. The Land Tenure Facility. Disponible sur : https://thetenurefacility.org
  11. de Jong, C. (2019) Suriname’s draft land rights act is testimony to the value of collective and sustained local action. Moreton-in-Marsh : Forest Peoples Programme. Disponible sur : https://www.forestpeoples.org/en/community-institutions-inter-american-human-rights-system-rights-land-natural-resources-economic
  12. Initiative Équateur (2018) Consejo Indígena Del Pueblo Tacana (CIPTA): Plurinational State of Bolivia. Equator Initiative Case Studies. New York : Initiative Équateur. Disponible sur : https://www.equatorinitiative.org/2017/05/28/consejo-indigena-del-pueblo-tacana/