Partie IV

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Une famille fulani arrose des semis au Mali. Photo : Giacomo Pirozzi.

Transitions vers une vie en harmonie avec la nature

Menaces sur les peuples autochtones et les communautés locales et la diversité biologique

Aujourd’hui, les peuples autochtones et les communautés locales subissent de plein fouet le recul de la diversité tant biologique que culturelle. Ces pertes sont le résultat de systèmes mondiaux de valeurs, de connaissances, de gouvernance, de production, de consommation, de technologies, d’économies, d’incitations et de commerce non durables, qui reposent tous sur un pouvoir décisionnel inégal concernant l’avenir de la nature et des peuples. La récente évaluation mondiale de l’IPBES indique que « les peuples autochtones et les communautés locales sont affectés directement et de manière disproportionnée par le recul de la diversité biologique et les changements climatiques ».1

Dans l’arbre des problèmes (voir la figure 7), les racines du problème résultent de la séparation entre les humains et la nature, et des intérêts individuels et de la recherche du profit. Il en est de même pour la séparation entre la nature et les interactions humaines, alors que le paysage, la diversité biologique et les écosystèmes dépendent et sont parfois tributaires des interactions humaines pour continuer à prospérer en tant que système holistique. La nature est considérée comme une ressource économique à exploiter et sa détérioration est traitée comme une externalité de l’économie dominante. La gouvernance fait le lien entre les racines et les branches. La prise de décisions contrôlée par des élites et des intérêts particuliers puissants est souvent liée à la corruption systémique et à des distorsions de l’État de droit démocratique, de grandes parties de la société étant laissées-pour-compte. Des mesures d’incitation et subventions alimentent la croissance de modèles de production et de consommation non durables, et l’agriculture industrielle qui génère des aliments et régimes alimentaires malsains. Les branches de l’arbre représentent les conséquences négatives qui caractérisent la diversité biologique actuelle, les crises du climat et du développement durable, y compris la déforestation, la détérioration des terres, la surpêche, la pénurie d’eau, les déchets et la pollution.

L’incursion dans les écosystèmes naturels et leur perturbation, et les pratiques agricoles industrielles actuelles, ont également donné lieu à des risques sans précédent de prévalence accrue de nombreuses zoonoses2, notamment des coronavirus, dont le plus récent a causé la COVID-19.3 La pandémie mondiale de COVID-19 a mis en lumière les vulnérabilités et la résilience insuffisante des systèmes de santé humains, en affectant simultanément les systèmes économiques et commerciaux, les systèmes financiers, les systèmes alimentaires, et les systèmes sociaux et politiques. Ces problèmes systémiques et interdépendants exigent des solutions conjointes qui ne restent pas immobilisées dans des approches « du statu quo », qui sommeront l’humanité de repenser et revoir de toute urgence nos relations sociales et culturelles avec les autres et avec la nature.

Problem tree of the current social-ecological crisis. Credit: artwork by Agnès Stienne.
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Arbre des problèmes de la crise socio-écologique actuelle. Illustration: Agnès Stienne.
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Encadré 51 : Adiwasi Samta Manch

Femmes baiga ramassant des feuilles. Photo : ephotocorp.
Baiga women collect leaves in the forest. Credit: ephotocorp.

Étude de cas : le peuple Baiga vit avec la Terre, Inde centrale

Nous, les Baiga Adivasis autochtones d’Inde centrale, avons vécu aux côtés de la forêt, en permettant à sa diversité biologique de se régénérer. L’accès à notre utilisation coutumière durable de la forêt riche en diversité biologique comme source de vie est toutefois menacé par l’exploitation forestière et minière, l’écotourisme et d’autres objectifs commerciaux qui s’emparent de nos jungles.

— Lire l’étude de cas complète

Transitions de la nature et de la culture vers la réalisation de la vision à l’horizon 2050

Les valeurs, les modes de vie, les connaissances, les systèmes de gouvernance et de gestion des ressources, les économies et les technologies des peuples autochtones et des communautés locales ont beaucoup à apporter pour affronter les crises de la diversité biologique, du climat et du développement durable, et réinventer les systèmes globaux différents qui peuvent mener à des visions partagées de la solidarité, « en ne laissant personne pour compte ». Les peuples autochtones et les communautés locales proposent des changements vers des relations plus équilibrées au sein des sociétés et avec la nature, au moyen de six transitions essentielles :

  1. Transitions culturelles vers des moyens de connaître et d’être différents
  2. Transitions foncières vers une protection des régimes fonciers coutumiers des peuples autochtones et communautés locales
  3. Transitions de la gouvernance vers une prise de décisions inclusive et un développement déterminé librement
  4. Incitations et transitions financières promouvant des solutions efficaces fondées sur la culture
  5. Transitions économiques vers une utilisation durable et des économies locales diverses
  6. des transitions alimentaires vers un nouveau dynamisme des systèmes alimentaires autochtones et locaux.

 

Chacune de ces transitions répond à des problèmes spécifiques urgents et renferme ses propres dynamiques, mais ces six transitions sont liées entre elles de manière systémique. En effet, aucune transition ne peut réussir seule, ces transitions doivent avoir lieu simultanément, et être déployées de manière à se renforcer les unes les autres, afin de maximiser le potentiel de transformation. Ces transitions sont désormais devenues impératives pour la survie des peuples autochtones et des communautés locales et la préservation de la santé de la biosphère, dont les limites ont été dépassées.

« Afin d’inverser la tendance en matière de recul de la diversité biologique, nous devons inverser la tendance en matière d’inégalités et garantir un partage équitable des avantages et des coûts. Afin de réaliser la vision à l’horizon 2050, il est nécessaire de changer de paradigme concernant les valeurs qui sont au centre/au cœur de la société qui influencent les comportements, pour une transformation vers une société responsable et durable. »

Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité4

References

  1. IPBES (2019) Summary for policymakers of the global assessment on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. S. Díaz, J. Settele, E. S. Brondízio E.S., H. T. Ngo, M. Guèze, J. Agard, A. Arneth, P. Balvanera, K. A. Brauman, S. H. M. Butchart, K. M. A. Chan, L. A. Garibaldi, K. Ichii, J. Liu, S. M. Subramanian, G. F. Midgley, P. Miloslavich, Z. Molnár, D. Obura, A. Pfaff, S. Polasky, A. Purvis, J. Razzaque, B. Reyers, R. Roy Chowdhury, Y. J. Shin, I. J. Visseren-Hamakers, K. J. Willis, et C. N. Zayas (éd.). Bonn, Allemagne : IPBES. Disponible sur : https://doi.org/10.5281/zenodo.3553579
  2. Wallace, R. (2016)Big farms make big flu: Dispatches on influenza, agribusiness, and the nature of science. New York : Monthly Review Press.
  3. Voir par exemple : Carrington, D. (2020) « Halt destruction of nature or suffer even worse pandemics, say world’s top scientists. » The Guardian. Londres : Guardian Media Group. Disponible sur : https://www.theguardian.com/world/2020/apr/27/halt-destruction-nature-worse-pandemics-top-scientists
  4. Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité (2019) « Submission of views on possible targets, indicators and baselines for the post-2020 global biodiversity framework and peer review of a document on indicators », SCBD/OES/DC/KM/88539 (20 décembre 2019). Disponible sur : https://chm.cbd.int/database/record?documentID=248755

    Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité (2020) « IIFB opening statement at the second meeting of the Open-ended Working Group on the post-2020 global biodiversity framework », février 2020, IIFB. Disponible sur : https://iifb-indigenous.org/open-ended-working-group-on-the-post-2020-global-biodiversity-framework/