Transition alimentaire : vers un nouveau dynamisme des systèmes alimentaires autochtones et locaux

Vision

Des écosystèmes et des cultures dynamiques assurent la diversité génétique et des régimes alimentaires variés, améliorant ainsi la santé, la résilience et les moyens de subsistance. Des systèmes alimentaires autochtones et locaux redynamisés contribuent à la sécurité alimentaire locale, à la souveraineté alimentaire et à l’agroécologie, et soutiennent une transition agricole juste.

Raisonnement

Investir dans un nouveau dynamisme des systèmes alimentaires autochtones et locaux récompensera ceux qui ont découvert, protégé, domestiqué, élevé et nourri les nombreux aliments qui nourrissent le monde. Les peuples autochtones et les communautés locales, en particulier les femmes, entretiennent la diversité biologique agricole depuis des millénaires — pour l’alimentation et la médecine, et pour des valeurs spirituelles, culturelles et communautaires plus profondes. Même aujourd’hui, les petits producteurs et les familles d’agriculteurs alimentent la plupart de la population de la planète en utilisant moins de 25 % de tous les intrants mondiaux en termes de terres, d’eau et d’énergie fossile pour cultiver des aliments. Préserver et développer la diversité dans l’agriculture, les paysages et les systèmes alimentaires est une composante essentielle de la transformation vers des systèmes alimentaires justes, sains et résilients.

Il est avéré que le système alimentaire et agricole industriel est l’un des moteurs principaux des changements dans l’utilisation des terres, de la pollution, de la déforestation et de la perte de diversité biologique, y compris de la diversité génétique, et qu’il contribue à aggraver l’appauvrissement de la population rurale. L’expansion rapide des systèmes alimentaires agro-industriels mondialisés au cours des dernières décennies a gravement affecté la souveraineté des peuples autochtones et des communautés locales sur la terre, l’alimentation, la santé et les moyens de subsistance.

Mettre fin aux exploitations agro-industrielles non durables et aux conversions des terres sur les terres et eaux coutumières des peuples autochtones et des communautés locales exige une transformation de l’ensemble du système alimentaire, au moyen d’une planification stratégique de l’utilisation des terres, de l’amélioration de la diversité biologique et des valeurs des écosystèmes dans les paysages, de la redécouverte de différentes traditions alimentaires et des valeurs du patrimoine culturel, et de s’attaquer aux changements malsains dans les régimes alimentaires axés sur la consommation de produits alimentaires hautement transformés par les peuples autochtones et d’autres consommateurs des zones rurales et urbaines.

Tzutujil women preparing traditional food together in San Pedro la Laguna, Guatemala. Credit: Barna Tanka
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Femmes tzutujil préparant la nourriture traditionnelle à San Pedro la Laguna, au Guatemala. Photo : Barna Tanka.

Les avantages de la transition

Le renouveau des systèmes alimentaires autochtones et locaux comporte de nombreux avantages :

  • une amélioration de la nutrition, de la santé et du bien-être des peuples autochtones et des communautés locales et de l’ensemble de la société, grâce à l’inversion de la tendance à la perte de diversité agricole et génétique, et celle de la transition alimentaire et nutritive actuelle vers des régimes alimentaires basés sur des aliments hautement transformés ;
  • la préservation et le renouveau des sites du patrimoine naturel et du patrimoine culturel (y compris le patrimoine alimentaire), qui incarnent d’importantes valeurs de la diversité biologique et de la culture primordiales pour les écosystèmes et la résilience sociale ;
  • des mesures d’incitation économique positives pour l’agriculture familiale et les petits producteurs, qui accroîtront la productivité et les revenus des peuples autochtones et des communautés locales, des femmes et des personnes pauvres, qui sont affectés de manière disproportionnée par le déclin rural et la disparition des moyens de subsistance traditionnels, « en rendant économique ce qui est vert » ;1
  • une transmission intergénérationnelle améliorée des savoirs, des innovations et des technologies autochtones et locaux, soutenant ainsi les pratiques d’utilisation coutumière durable et le rétablissement des variétés traditionnelles, et promouvant la restauration des écosystèmes dégradés.

Progrès vers la transition et exemples de référence

  • Progrès vers la transition et exemples de référence Il existe un mouvement social pour l’agro-écologie et la souveraineté alimentaire qui prend de l’ampleur, mené par La Via Campesina et animé par de nombreuses initiatives alimentaires communautaires et locales comme la Terra Madre autochtone.2
  • Le plan d’action global de la Décennie des Nations Unies pour l’agriculture familiale (2019–2028) vise à mobiliser des actions concrètes et coordonnées pour surmonter les défis auxquels sont confrontées les familles d’agriculteurs, ainsi qu’à consolider leur capacité d’investissement et donc à assurer les contributions les plus importantes possibles de l’agriculture familiale à l’agriculture et à la production alimentaire durables.
  • Le Séminaire d’experts de haut niveau sur les systèmes alimentaires autochtones de la FAO3 est convenu de créer un centre sur les systèmes alimentaires autochtones et de proposer la création d’un réseau d’action mondial sur les systèmes alimentaires autochtones et les savoirs traditionnels dans le cadre de la Décennie d’action des Nations Unies pour la nutrition (2016–2025).

L’exemple de l’Alaska (voir l’encadré 60 ) illustre les principes et les pratiques du renouveau continu des systèmes alimentaires autochtones.

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Encadré 60 : Inuit Circumpolar Council – Alaska

Abris de chasse des Inuit à l’embouchure du fleuve Serpentine dans la toundra de l’Alaska. Photo : Global Warming Images.
Inuit hunting lodges at the mouth of the Serpentine River on the Alaskan tundra. Credit: Global Warming Images.

Étude de cas : définir la sécurité alimentaire des Inuit de l’Alaska comme souveraineté alimentaire

Le Inuit Circumpolar Council de l’Alaska a coordonné un travail ayant abouti à la définition suivante de la sécurité alimentaire par les Inuit d’Alaska :

« La sécurité alimentaire des Inuit d’Alaska est le droit naturel de tous les Inuit de faire partie de l’écosystème, d’accéder à la nourriture et de soigner, protéger et respecter toute vie, la terre, l’eau et l’air. Elle permet à tous les Inuit d’obtenir, transformer, stocker et consommer des quantités suffisantes des aliments préférés sains et nutritifs – des aliments physiquement et spirituellement désirés et nécessaires venant de la terre, de l’air et de l’eau, qui pourvoient aux besoins des familles et des générations futures grâce à la pratique des coutumes et de la spiritualité, des langues, des savoirs, des politiques, des pratiques de gestion et de la gouvernance autonome des Inuit.

— Lire l’étude de cas complète
A member of the Rural Women's Farmers Association of Ghana RUWFAG hanging corn to preserve the seeds for sowing. Credit Global Justice Now.
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Un membre de l’Association des agricultrices rurales du Ghana suspend le maïs pour conserver les grains et les planter. Photo : Global Justice Now.
In response to the increasing promotion of agro-chemicals and the threat of expansion of agribusiness and industrial oil palm plantations, in 2016 the Alliance of the Indigenous Peoples of the Highlands self-declared the Krayan highlands in Borneo as an area for organic and traditional agriculture. Credit: Robertson.
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En réponse à la promotion croissante des produits chimiques agricoles et à la menace de l’expansion de l’agro-industrie et des plantations industrielles de palmiers à huile, en 2016 l’Alliance des peuples autochtones des hautes terres (Alliance of the Indigenous Peoples of the Highlands) a auto-proclamé les hautes terres de Krayan à Bornéo zone agricole biologique et traditionnelle. Photo : Robertson.

Les éléments clés de la transition

Adopter une approche systémique à l’alimentation permet de mieux comprendre quelles sont les actions nécessaires à la promotion de la transition alimentaire souhaitée. Les systèmes alimentaires n’englobent pas uniquement les maillons de la chaîne alimentaire, de l’agriculture à la vente de détail. Ils incluent également les cadres institutionnel, réglementaire, scientifique et de connaissances qui façonnent l’environnement alimentaire. On compte parmi les composantes des systèmes alimentaires les politiques commerciales, les subventions à l’agriculture, les structures et les prix du marché, la recherche, et les priorités en matière d’éducation — toutes associées à des coalitions d’intérêts qui évoluent parallèlement à ces composantes4 . Les interactions entre les initiatives alimentaires locales et le système alimentaire et agricole dominant modèleront les transitions alimentaires et les futurs de l’alimentation. Quelques-uns des éléments clés sont énumérés ci-dessous.

  • Promouvoir des politiques alimentaires intégrées et souligner l’importance des « environnements alimentaires » sains. Le consensus et la compréhension des scientifiques au sujet du rôle des environnements alimentaires dans le façonnement des régimes alimentaires des populations se développent. Les éléments principaux de l’environnement alimentaire qui influencent les choix alimentaires des consommateurs sont l’accès physique et économique à l’alimentation, la promotion des aliments, la publicité et les informations, et la qualité et la sécurité des aliments.5
  • Consolider l’approche fondée sur les droits, en se recentrant sur la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire est un concept axé sur le droit des personnes de contrôler qui produit les aliments, comment et de quel type. Les éléments fondamentaux de la souveraineté alimentaire sont notamment des relations commerciales plus équitables, une réforme foncière, la protection des droits intellectuels et des droits fonciers autochtones, l’égalité entre les sexes, et la participation de la population à l’établissement des politiques. La souveraineté alimentaire met en exergue la réforme de la gouvernance des systèmes alimentaires comme un élément central pour rendre cette transition effective.
  • Reconnaître et soutenir l’agro-écologie comme stratégie primordiale pour assurer la sécurité alimentaire et la nutrition. Plusieurs rapports internationaux historiques6 ont identifié l’agro-écologie comme étant une approche complète et systémique.7 L’agro-écologie peut garantir une nutrition adéquate en assurant des régimes alimentaires variés, sûrs et équilibrés, à base de produits frais et locaux qui sont produits durablement, sont accessibles et culturellement appropriés.
  • Éviter les solutions techniques. Les approches trop ciblées qui comportent des compromis et sont susceptibles de renforcer les relations de pouvoir existantes ne devraient pas avoir la priorité, au même niveau que les approches systémiques.
  • Garantie de l’accès aux terres et de la sécurité du régime foncier coutumier. Cela est essentiel pour les peuples autochtones et les communautés locales, tel que clairement souligné dans les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale de la FAO des Nations Unies.
  • Fournir un soutien aux politiques, des mesures d’incitation économiques et des financements directs pour des initiatives alimentaires locales, telles que banques de semences communautaires, coopératives, innovations technologiques et pratiques de gestion autochtones.

References

  1. Voir : Macqueen, D. (éd.) (2014) Prioritising support for locally controlled forest enterprises. Londres et Rome : IIED, Forest Connect et Mécanisme forêts et paysans. Disponible sur : https://pubs.iied.org/13572IIED/.
  2. Voir : Anderson, C., Bruil, J., Chappell, M. J., Kiss, C. et Pimbert, M. P. (2019) « From Transition to Domains of Transformation: Getting to Sustainable and Just Food Systems through Agroecology », Sustainability11(19).

    Voir également : Pimbert, M. P. et Borrini-Feyerabend, G. (2019) Nourishing life – territories of life and food sovereignty. Policy brief of the ICCA Consortium no. 6. Divers : ICCA Consortium, Centre for Agroecology, Water and Resilience at Coventry University et CENESTA.
  3. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (2018) Building on traditional knowledge to achieve Zero Hunger, Synthèse du séminaire d’experts, Séminaire d’experts de haut niveau sur les systèmes alimentaires autochtones : 7-9 novembre 2018, Rome. Disponible sur : http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/partnerships/docs/LAST_FINAL_REPORT_HLESIFS_2018_01.pdf
  4. IPBES Food. Disponible sur : http://www.ipes-food.org/
  5. HLPE (2017) Nutrition and food systems. Un rapport du Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition du Comité de la sécurité alimentaire mondiale. HLPE Report 12. Rome : Comité de la sécurité alimentaire mondiale. Disponible sur : http://www.fao.org/policy-support/resources/resources-details/en/c/1155796/
  6. IPBES (2018) Summary for policymakers of the assessment report on land degradation and restoration of the Intergovernmental Science- Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. R. Scholes, L. Montanarella, A. Brainich, N. Barger, B. ten Brink, M. Cantele, B. Erasmus, J. Fisher, T. Gardner, T. G. Holland, F. Kohler, J. S. Kotiaho, G. Von Maltitz, G. Nangendo, R. Pandit, J. Parrotta, M. D. Potts, S. Prince, M. Sankaran et L. Willemen (éd.). Bonn: IPBES.

    GIEC (2019) « Summary for Policymakers », in Shukla, P.R., Skea, J., Calvo Buendia, E., Masson-Delmotte, V., Pörtner, H.-O., Roberts, D.C., Zhai, P., Slade, R., Connors, S., van Diemen, R., Ferrat, M., Haughey, E., Luz, S., Neogi, S., Pathak, M., Petzold, J., Portugal Pereira, J., Vyas, P., Huntley, E., Kissick, K., Belkacemi, M., Malley, J. (éd.) Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems. Genève : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

    Groupe de scientifiques indépendants désignés par le Secrétaire général (2019) Global sustainable development report:The future is now – Science for achieving sustainable development. New York : Organisation des Nations Unies.

    Global Commission on Adaptation (2019) Adapt now: A global call for leadership on climate resilience. Rotterdam et Washington, D.C. : Global Center on Adaptation et World Resources Institute. Disponible sur : https://cdn.gca.org/assets/2019-09/GlobalCommission_Report_FINAL.pdf
  7. Groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (2019) Approches agroécologiques et autres approches novatrices pour une agriculture et des systèmes alimentaires durables propres à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition. Rome : Comité de la sécurité alimentaire mondiale. Disponible sur : http://www.fao.org/fileadmin/templates/cfs/HLPE/reports/HLPE_Report_14_FR.pdf