Objectif 12 : réduction du risque d’extinction
D’ici à 2020, l’extinction d’espèces menacées connues est évitée et leur état de conservation, en particulier de celles qui tombent le plus en déclin, est amélioré et maintenu.
Messages principaux
- De nombreux peuples autochtones et communautés locales envisagent les plantes et les animaux à travers le prisme d’une relation de parenté, avec un esprit, des obligations de soin, et un statut moral égal à celui des humains. Les valeurs axées sur les relations motivent souvent les personnes à protéger et restaurer des espèces menacées.
- Les peuples autochtones et les communautés locales mesurent le rétablissement des espèces à l’aide, par exemple, d’indicateurs culturels, de systèmes communautaires de surveillance et d’information, de savoirs autochtones et locaux, et d’une gouvernance et d’une gestion communautaires.
- Les partenariats avec les peuples autochtones et les communautés locales renferment un fort potentiel, mais ils doivent assurer le respect mutuel, la réciprocité, le partage des avantages, la reddition des comptes et la sécurité culturelle.
Signification de l’objectif 12 pour les peuples autochtones et les communautés locales
Dans de nombreux endroits, les espèces menacées font partie intégrante des moyens de subsistance, des valeurs, des identités et des droits humains des peuples autochtones et des communautés locales.1 Les savoirs traditionnels, exprimés à travers des récits, des chants, des prières et des langues, sont liés à la préservation de l’existence, à la survie et au rétablissement des espèces.2 Les humains existent dans des relations de parenté sacrées avec des êtres autres qu’humains, des relations qui comportent des obligations de surveillance.3 Les peuples autochtones et les communautés locales créent des habitats bioculturels et gèrent l’environnement à l’aide de moyens qui peuvent contribuer à ce rétablissement.4 La restauration des espèces menacées s’inscrit dans leurs relations plus larges de guérison avec l’environnement, sur la base de la réciprocité et de la responsabilité.5 Étant donné que les causes profondes de la mise en danger des espèces évoluent au fil du temps, il est également important de reconnaître que les peuples autochtones et les communautés locales jouissent d’une longue expérience d’adaptation au changement et feront mieux face aux turbulences si leurs systèmes de gestion des territoires et des espèces sont respectés.
Les peuples autochtones et les communautés locales peuvent avoir des croyances différentes de celles des scientifiques ou de la société concernant la mise en danger et l’extinction des espèces, et ces croyances devraient être respectées.6 L’objectif 12 devrait tenir compte de l’ensemble des systèmes de gouvernance, des valeurs, des preuves et des motivations des peuples autochtones et des communautés locales.7 . Les peuples autochtones et les communautés locales existent dans de nombreux contextes politiques, juridiques, culturels et historiques différents. Des systèmes de gouvernance inappropriés imposés aux peuples autochtones et aux communautés locales, et des systèmes qui ne tiennent pas compte de leurs contextes, institutions et contraintes, peuvent aboutir à une absence de coopération et à des échecs.8
Paysage arctique. Photo : US Fish & Wildlife Service.
Les processus qui concernent des espèces utilisées par des peuples autochtones et des communautés locales devraient être dirigés, auto-gérés ou co-gérés par des peuples autochtones et communautés locales, et tenir pleinement compte de leurs gouvernance, institutions, valeurs, langues, concepts, utilisations durables, méthodes, savoirs traditionnels et preuves.9 Les peuples autochtones et les communautés locales sont les mieux placés pour suivre et élaborer des indicateurs pour les espèces qui les concernent qui soient compatibles avec leurs situations spécifiques, et pour gérer les connaissances et les données qui peuvent ou non être partagées. Des financements et soutiens pour ces types d’activités doivent être développés et rendus accessibles aux peuples autochtones et communautés locales.
Contributions et expériences des peuples autochtones et des communautés locales relatives à l’objectif 12
Les peuples autochtones et les communautés locales contribuent au rétablissement des espèces menacées par de nombreux moyens. Ils disposent de connaissances profondes concernant les comportements, les habitudes, les habitats, les associations, les relations, la distribution, l’abondance, et de nombreux autres aspects des espèces menacées. Ils peuvent employer ces connaissances à la gestion des espèces sur leurs terres et aider les scientifiques et les responsables de programmes. Ils manipulent souvent leurs environnements pour créer des « habitats bioculturels » qui protègent les espèces menacées, au moyen de techniques telles que le brûlage traditionnel et la gestion de la fertilité des sols. Au moyen d’une utilisation durable et d’innovations, ils peuvent prévenir des effets locaux et éviter une mise en danger des espèces.
Les actions visant à favoriser le rétablissement des espèces menacées ont souvent lieu sur un site donné ou portent sur une espèce spécifique sur les terres et les territoires des peuples autochtones et des communautés locales, mais de nombreuses menaces sont extérieures à leur sphère de compétence et/ou concernent plusieurs juridictions (par exemple les changements climatiques, la croissance démographique, l’urbanisation, la fragmentation des habitats, les obstacles à la dispersion et la pollution).10). Pour une réussite à long terme, une approche interdisciplinaire large, souvent à de multiples niveaux, est nécessaire.11 Des changements dans la distribution des espèces, l’éradication locale, les animaux férals et les maladies compliquent par ailleurs le rétablissement.12 Le rétablissement peut être fragile si les causes sous-jacentes de la mise en danger, notamment les facteurs sociaux et biophysiques, ne sont pas atténuées et si les projets ne sont pas suffisamment flexibles pour s’adapter au changement.13 Il convient également de reconnaître que bien que les peuples autochtones et les communautés locales n’aient pas causé la mise en danger, il est leur est fréquemment demandé d’assumer le fardeau de la conservation.
Les paragraphes ci-dessous présentent quelques approches adoptées par les peuples autochtones et les communautés locales, qui vont des mesures politiques à la surveillance autonome, à la gestion et aux partenariats.
- En Australie, trois quarts des espèces de vertébrés classées comme menacées se trouvent en partie sur des terres autochtones.14 Les propriétaires traditionnels établissent des aires autochtones protégées (AAP) et ce faisant, identifient les zones d’importance bioculturelle et apportent des connaissances spécialisées sur les espèces menacées.15 Par exemple, Threatened Species Recovery Hub collabore avec des gardes fauniques et des communautés aborigènes pour surveiller et rétablir le bilby (Macrotis lagotis), un petit mammifère nocturne.16 De manière plus générale, le centre soutient le développement de protocoles communautaires et de processus pilotés par les Autochtones.17 . De même, la campagne Country Needs People soutient les aires autochtones protégées aborigènes et insulaires du détroit de Torres et les activités de protection des espèces18
- Au Guatemala, des communautés autochtones surveillent la santé des forêts et des oiseaux, mammifères et plantes en danger dans les forêts communautaires.19 Elles disposent d’un système communautaire de surveillance et d’information qui assure le suivi de l’état, des tendances, des valeurs culturelles et des pratiques associés aux espèces menacées, et leur fournit des informations pour la gestion de leurs forêts.
- À Samoa, des chasseurs autochtones ont fourni des informations détaillées sur le diduncule strigirostre (Didunculus strigirostris) critiquement en péril. Des informations sur son observation, son écologie comportementale, ses sources d’alimentation et ses habitudes terrestres constituent la base des recommandations de conservation à court terme20
- Aux États-Unis, l’arrêté commun (Joint Secretarial Order) 3206,21 relatif à la loi sur les espèces en danger (Endangered Species Act) et les tribus, reconnaît que les tribus supportent souvent le fardeau de la conservation pour des atteintes qu’elles n’ont pas causées. Il a recours à un éventail de mesures d’atténuation pour empêcher la mise en danger des espèces, attribue de préférence le fardeau de la réparation à ceux qui ont causé les atteintes et, lorsque les atteintes sont inévitables, réduire au minimum le fardeau pour les tribus, en consultation avec les autorités tribales.
- Au Ghana, le peuple Ashanti dicte la gestion de sa réserve forestière selon de profondes croyances culturelles, des liens spirituels à la forêt, et des tabous. Il a été constaté que leurs forêts sont en grande partie intactes, avec des couverts fermés et des quantités importantes de bois exploitable. En comparaison, les forêts gérées par la commission ghanéenne des forêts avaient une structure et une productivité inadéquates, ce qui indique que le système traditionnel de gestion est un outil de conservation utile.22
- . Le Traité de Buffalo est une alliance intertribale moderne entre des Tribus des États-Unis et des Premières Nations du Canada, avec pour objectif à long terme de permettre la libre circulation des bisons à travers la frontière internationale et rétablir son rôle central pour l’alimentation, la spiritualité et les économies de nombreuses Tribus amérindiennes et Premières Nations. Il a été réalisé sous la conduite des anciens qui se conforment à la tradition, pour réorienter la jeune génération vers le chemin de l’équilibre culturel et écologique, pour tourner la page de la quasi-extinction du bison, renouvelant ainsi les relations culturelles et spirituelles anciennes avec le bison et les prairies des Grandes Plaines du Nord.
Encadré 28 : Chef Dana Tizya-Tramm, Première Nation Vuntut Gwitchin
Les Gwich’in dépendent depuis des milliers d’années de la force et de la vitalité de la harde de caribous de la Porcupine pour leur sécurité alimentaire. Photo : Minden Pictures.
Étude de cas : les Gwich’in et la harde de caribous de la Porcupine, Amérique du Nord
La harde de caribous de la Porcupine (Rangifer tarandus granti) est un groupe d’animaux emblématiques d’Amérique du Nord qui peuple les régions allant de l’Alaska aux États-Unis aux Territoires du nord-ouest au Canada. Au cours de la plus longue migration de mammifères au monde, le caribou de la Porcupine parcourt plus de 2 400 kilomètres chaque année à travers le territoire traditionnel de la Nation Gwich’in. Le caribou de la Porcupine et les Gwich’in sont désormais confrontés à des menaces durables qui incluent une gestion inefficace partagée entre plusieurs juridictions, les effets de l’activité industrielle, et le changement climatique.
— Lire l’étude de cas complète
Encadré 29 : Alexandra McGregor et Wanli Ou, AFN Fisheries
Un pêcheur traditionnel mi’kmaw de Pictou Landing, sur le territoire mi’kmaq. Photo : Amy Moulton.
Étude de cas : anguilles autochtones au Canada
Les pimizi (le mot anishinaabemowin qui signifie « anguille ») coexistent depuis longtemps avec les peuples autochtones de la côte est du Canada sur l’île de Big Turtle. Connue également sous le nom d’anguille d’Amérique (Anguilla rostrata), cette créature serpentine est primordiale pour la santé et la richesse des peuples autochtones depuis des milliers d’années.
— Lire l’étude de cas complète
Là où des partenariats entre des peuples autochtones et des communautés locales et des chercheurs sont fondés sur le respect mutuel, la réciprocité, le partage des avantages, la responsabilité et la sécurité culturelle, les données disponibles montrent qu’ils ont permis d’améliorer la compréhension collective des aires de répartition écologiques, des niveaux de référence et des tendances des espèces.23 Il est toutefois également manifeste que des préjugés historiques et ancrés contre les manières autochtones de connaître et d’être jettent une ombre sur les approches scientifiques aux peuples autochtones et aux communautés locales et continuent trop souvent de les caractériser.
« La guérison à double sens » / « les savoirs à double sens » / « l’apprentissage réciproque »24 peuvent promouvoir un changement de fond chez les peuples autochtones et les communautés locales et dans la société, pour une vie en harmonie avec la nature. 25
Là où respect et confiance mutuels prévalent ou s’installent, il existe de réelles possibilités de travailler avec les peuples autochtones et les communautés locales sur des efforts de rétablissement ciblés et, à travers ces efforts, de s’engager à soutenir leurs modes de vie, de pensée, leur bien-être et leurs droits humains.
Occasions et actions recommandées
- Les peuples autochtones et les communautés locales devraient bénéficier d’un soutien pour développer des initiatives visant à réduire les extinctions d’espèces, notamment pour des activités de surveillance et de comptes rendus concernant le rétablissement des espèces aux niveaux national et international.
- Les gouvernements, les donateurs et les acteurs concernés devraient apporter un soutien continu aux initiatives communautaires pour la réduction du risque d’extinction, notamment aux systèmes communautaires de surveillance et d’information.
- Les gouvernements et tous les acteurs concernés devraient garantir une coordination et une coopération à tous les niveaux et entre toutes les juridictions, et impliquer les peuples autochtones et les communautés locales dans l’élaboration des lois, des politiques et des processus de planification pour protéger leurs droits et leurs intérêts. Le rétablissement réussi d’espèces menacées sur le long terme exige d’atténuer les causes profondes de leur mise en danger, ainsi que les effets cumulés et combinés.
- Tous les acteurs devraient intégrer la protection des espèces dans les paysages de production et les habitats bioculturels.
- Tous les acteurs devraient reconnaître et tenir compte de l’ensemble des institutions, des valeurs, des concepts, des contextes, des intérêts et des droits des peuples autochtones et des communautés locales qui préservent leurs modes de vie et empêchent une mise en danger des espèces. Ils devraient également éviter d’imposer des fardeaux en matière de conservation qui pourraient détériorer le rôle de gardien des peuples autochtones et des communautés locales et leurs relations à la nature.
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